jeudi 19 mai 2011

L'Europe s'arrête aussi à Vintimille ?


Entre la France et l'Italie la libre circulation des trains et donc des individus a été interrompue dimanche 16 avril à Vintimille, une frontière "interne" au sein de l'espace Schengen.
Si cette entrave n'a pas duré longtemps, elle demeure hautement symbolique de la dérive nationaliste de pays qui ont pourtant été parmi les premiers bâtisseurs de la Communauté européenne que l'on appellera ensuite l'Union.




Il me paraît inutile et superficiel dans cette situation de rechercher les raisons ou les responsables de cette décision qui, si elle n'est que temporaire, n'en est pas moins historique.
Ce qui se joue en réalité, sur le dos des migrations vers l' Europe, ce qui s'est passé dimanche dernier à Vintimille/Ventimiglia c'est la déliquescence de l'idée et de la construction européennes si l'on considère encore que le projet européen avait une signification.
Je suis citoyen européen français et italien et l'on ma transmis cet esprit d'ouverture et de communauté de destin européen qui avait présidé, chez Monnet, Schumann, Spinelli, Spaak et tant d'autres, à la construction européenne, à la possibilité d'une Europe unie.
Certes, ces précurseurs n'avaient pas tout réussi : ils avaient pris le chemin de traverse du "marché commun" à défaut d'institutions politiques que les peuples, sortis d'une guerre fratricide, ne pouvaient encore envisager.
Ils ont eu cependant la volonté et le courage, alors que tout pouvait basculer à nouveau dans la guerre des nationalismes, de construire la voie européenne, d'organiser l'espace juridique européen à travers lequel les Etats membres ont appris à se rencontrer, à dialoguer, à se confronter et à décider, non pas chacun pour soi ou chez soi mais ensemble, en commun, pour tous.
Alors que s'est il passé depuis trop longtemps pour qu'on en revienne à la case frontière de Vintimille/Ventimiglia ? Comment en ce début de XXIe siècle des dirigeants de deux pays fondateurs, la France et l'Italie en sont ils venus à reconstruire une frontière entre eux, à bloquer des trains, à agir unilatéralement sans se concerter, à enfreindre à tel point l'idéal, le projet européen ?
La fameuse libre circulation entre l'Italie et la France a été stoppée un bref instant mais ce moment crucial est révélateur du malaise actuel, de la crise profonde du projet européen : il signe le retour progressif, presque imperceptible du nationalisme en Europe.
La peur ou la haine de l'autre, de l'étranger, de l'émigré, du migrant se répand au sein de l'espace européen. Comme disent les italiens de manière hautaine sinon xénophobe, les "extracommunautaires" boucs émissaires de la crise font vaciller l'esprit européen. Les peurs et haines des "contagions" humaines prennent le pas sur toute politique sensée qui se donnerait d'autres moyens d'affronter et de solutionner les problèmes que la fermeture nationale, hexagonale, ou dans la botte italienne.
Avec une telle réalité triste et médiocre nous sommes très loin "la dernière utopie" qui vantait la naissance de l'Europe démocratique.
Il faut la reconnaître et se résoudre à cette réalité si on veut encore l'affronter, la défier : nous vivons l'époque de la régression européenne que certains, toujours plus nombreux, voudraient voir consacrée par l'abandon de l'euro, la sortie de l'Union européenne, ou une Europe réduite au seul marché.
Comment en est on arrivé là ? Que s'est il produit pour que le projet européen ait tant de mal à être partagé par les peuples européens eux mêmes alors que partout dans le monde et surtout en méditerranée des hommes et des femmes sur des radeaux de fortune veulent rejoindre l'Europe pour échapper à leur condition ?.
Comment expliquer la montée inexorable des "souverainismes" et populismes à droite comme à gauche.
En regardant l'histoire européenne récente, trois éléments fondamentaux sautent aux yeux pour comprendre un telle régression.
En premier lieu, l'incapacité des politiques nationaux, surtout en France à expliquer par des mots simples l'esprit du projet européen. Comme certains le soulignaient à l'occasion des référendums ou d'élections pour le Parlement européen, comment faire passer la fibre européenne si, sur toute politique négociée à Bruxelles, les ministres reviennent à Paris en clamant que c'est grâce à leur habileté que le succès est au rendez vous ; alors qu'en cas d'échec c'est la faute exclusivement à l'Europe et à ses odieux technocrates.
Ce petit jeu pervers dont j'ai pu personnellement voir les multiples expressions dans le domaine de la Politique agricole commune n'a évidemment pas contribué à une conscience européenne partagée.
Mais là n'est pas l'essentiel car tous les pays européens n'avaient pas adopté ce même comportement comme en témoigne alors l'engouement européen des italiens.
La véritable rupture dans la dynamique européenne voulue par les six pays fondateurs devait coïncider avec l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne. A ce moment là, le vers fut dans le fruit car ce pays , notamment à partir de la venue au pouvoir de Margaret Thatcher, allait imposer à l'Europe sa vision du monde essentiellement économique et commerciale.
Loin de la conception française, allemande ou italienne, le Royaume Uni considérait l'Europe exclusivement comme un marché qu'il s'agissait de rendre le plus perméable possible.
Les notions de régulation, de politique européenne, d'Europe puissance ou de préférence communautaire allaient à l'encontre de leur vision d'un marché libre et autorégulé ne nécessitant en aucune manière l'intervention de l'Etat national et encore moins de l'Europe bruxelloise.
Les anglais ont mis à mal grâce à leur droit de veto, ou encore l'unanimité requise dans les décisions importantes, les quelques politiques européennes existantes et surtout celles qui auraient dû voir le jour.
Minutieusement et consciencieusement , grâce à leur habileté indéniable dans l'art du lobbying stratégique couplée au maniement de la langue universelle, ils ont réussi, contre une majorité de pays, à déconstruire l'Europe et à empêcher toute régulation économique ou politique. en tirant néanmoins tous les avantages économiques, commerciaux et financiers d'un espace européen livré aux vents du grand large.
L'imposition de leur logique économique et juridique est l'élément fondamental qui explique le rejet ou la désaffection de la part des peuples européen vis à vis d'une Europe incapable de les protéger, de constituer un levier organisé dans la mondialisation, de leur offrir des perspectives de progrès pour eux et leur enfants.
Nous savons aujourd'hui comment cette conception doctrinaire du marché a mené l'Europe et le monde au bord du précipice dans la crise financière.
Mais venons en au point qui est la cause de l'événement exceptionnel qui s'est déroulé à Vintimille. Ce point est le véritable scandale politique qui consiste pour la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen de laisser les pays méditerranéens de l'Union européenne gérer et porter le fardeau à eux tous seuls de la question des migrations en provenance du sud de la méditerranée.
Dans ce domaine les responsabilités de l'Europe et notamment des grands pays de l'Union sont accablantes. Cette démission des Politiques européens nous a conduit à la situation récente du chantage à la dispersion des immigrés au sein de l'espace Schengen comme arme utilisée par les autorités italiennes sous la pression de la Ligue du Nord. Ce parti, comme le Front National, préconise des mesures autrement plus expéditives pour refouler les hommes, femmes et enfants qui arrivent tous les jours sur les îles et les côtes italiennes, espagnoles ou grecques.
Face à cela, personne n' intervient aujourd'hui, parmi les parlementaires ou commissaires européens, garants ultimes du projet de l'Union pour exiger la création d'une agence des migrations européennes et une réelle politique commune en la matière.
La solidarité européenne est elle à ce point mise à mal qu'elle ne peut jouer que dans les circonstances du sauvetage de l'euro ou du système financier et des banques ?
Pour ne prendre que mes deux pays d'appartenance ceux ci ne font aucune proposition mais, au contraire, ils suivent idéologiquement les partis les plus rétrogrades, populistes et xénophobes (Lega Nord et Front national) dans leur illusion dangereuse du repli nationaliste, de la haine raciale et sociale et du rejet des "extracommunautaires" comme solution définitive à cette question des flux migratoires.
Voilà ou on en est, en l'absence de tout relais européen dans la résolution de problèmes qui, contrairement à ce que veulent nous faire croire les souverainistes et populistes de tous poils, ne peuvent plus l'être au strict niveau national mais exige un traitement européen et international.
Faute d'initiatives communes européennes, ces tensions entre Etats membres ne peuvent que se développer avec la tentation pour les gouvernements, comme dans le cas de la France et de l'Italie, de flatter le patriotisme ou le nationalisme de leur opinion publique en rejetant toute responsabilité sur le pays voisin.
Assurément et malgré sa brièveté, l'événement qui s'est produit à la frontière de Ventimille/Ventimiglia entre les deux pays résonne comme un renoncement au projet européen, une sorte d'adhésion consentie à des valeurs et des peurs contre lesquelles la fragile construction européenne avait voulu s ‘élever à travers une volonté et une ambition communes.

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