mardi 21 février 2012

Yémen : après la révolution, l'élection


Yémen : après la révolution, l'élection

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Par Georges MalbrunotMis à jour  | publié  Réactions (7)
Des manifestants anti-gouvernement demandent la fin du régime Saleh à Sanaa, au Yémen, le 18 mars 2011.
Des manifestants anti-gouvernement demandent la fin du régime Saleh à Sanaa, au Yémen, le 18 mars 2011. Crédits photo : © Khaled Abdullah Ali Al Mahdi / Reuters/REUTERS
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Après trente-trois ans de règne et un soulèvement populaire, le président Saleh cède la place. Seul candidat, Abd Rabbo Mansour Hadi sera élu ce mardi. Les jeunes révolutionnaires se sentent volés.

«Place du changement» à Sanaa, des centaines de toiles de tente arborent encore les portraits des martyrs de la révolution, lancée il y a tout juste un an dans la foulée de la Tunisie et de l'Égypte. Comme celui d'Anas, ce bébé de 10 mois tué dans une voiture, alors qu'il attendait son père. Le quartier général de la contestation contre le régime d'Ali Abdallah Saleh est devenu une véritable ville de toiles avec ses étals, ses cabanes pour dormir et ses estrades pour écouter les prêches des uns et des autres.
Pourtant, les apparences sont trompeuses. À deux pas de l'université, la «place du Changement» n'est plus le cœur battant de la révolution. Ce mardi, de nombreux jeunes, qui y campent toujours, vont voter sans enthousiasme. «C'est la seule façon d'extraire le Yémen de ses problèmes», résume Arslan, un étudiant de 21 ans. Un seul candidat est en lice: le vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui aura la redoutable tâche de mener à bien la délicate transition jusqu'à la véritable élection présidentielle prévue en 2014.

Amertume

Même sans autre enjeu que la participation, le scrutin de mardi est un passage obligé important vers plus de démocratie, espèrent de nombreux Yéménites. Mais il n'est pas sûr du tout que le vote tournera la page de l'èreSaleh, le président de la République qui a dû quitter le pouvoir en novembre, mais dont les proches trustent encore les principaux leviers de la sécurité et de l'armée. «Si le président Hadi évince la clique Saleh du pouvoir, on le soutiendra. Sinon, nous resterons là, sous nos tentes», assure Nasser, un autre étudiant, assis sous une bicoque en brique, ornée du drapeau yéménite, tandis qu'un groupe de jeunes défile en scandant un appel au boycott de la présidentielle.
En fait, un an après, les insurgés sont amers. «C'est vrai qu'on s'est fait voler notre révolution», reconnaît Nasser. Il ne dit pas par qui. Mais on le devine aisément en entrant sur la «place du Changement», où un militant du parti islamiste al-Islah fouille au corps les visiteurs.
«Rusés, les islamistes ont laissé les jeunes s'exprimer pendant deux mois, décrypte un diplomate, puis ils sont venus installer des comités de la santé, des médias, un comité militaire. Ils ont nourri les jeunes, ils ont transformé leur mosquée en hôpital, et à l'automne ils leur ont dit: “Puisque nous dirigeons le mouvement, et bien c'est nous qui allons maintenant négocier avec le pouvoir”».
Pour les jeunes, la trahison est intervenue le 23 novembre lorsque, constatant qu'aucun camp ne pouvait vaincre l'autre militairement, al-Islah, rejoint par les déserteurs de la 1re division blindée - en gros la moitié de l'armée - a conclu un accord sur la transition du pouvoir avec Saleh, sous l'égide des monarchies du Golfe, inquiètes de voir la crise déborder. Aux termes de cet arrangement, chaque camp dispose de 17 ministres dans un gouvernement d'entente nationale, et l'immunité est garantie pour Saleh et ses proches. «Impossible, il doit être jugé, insiste Nasser. Nous ne céderons pas aux pressions du Golfe.»
Même s'ils sont soutenus par la Prix Nobel de la paix, Tawakel Karman, les jeunes ont cruellement manqué de maturité politique. «Ils ont été incapables de se structurer, de former un parti, et enfin de présenter un candidat à la présidentielle», regrette un ambassadeur, actif en coulisses pour régler la crise. «La période n'est pas claire, répond Mohsen, nous préférons attendre la présidentielle de 2014». Certes, ils seront invités à participer au dialogue national prévu après le scrutin, mais ils n'ont encore aucun contact avec le futur président.
Ils ont perdu la main au profit du bloc constitué par les islamistes et les soldats de la 1re Division du général Ali Mohsen, un ancien proche de Saleh qui a fait défection en mars dernier pour protéger ensuite les révolutionnaires «place du Changement». Une alliance improbable dont la solidité va être testée au cours du dialogue national. «C'est un simple mariage d'intérêts, on ne sait pas qui tient qui», regrette Douraish, un indépendant de 50 ans, sous sa tente lui aussi, aux côtés de 48 autres groupes, sans programme politique pour la plupart. En revanche, l'agenda islamiste de la coalition al-Islah Ali Mohsen inquiète de nombreux jeunes, qui côtoient les fils d'apparatchiks du parti intégriste, envoyés «place du Changement» pour faire bonne mesure. D'autant qu'ils se souviennent qu'en 1994, les «barbus» avaient combattu avec le régime de Saleh contre les séparatistes du Yémen du Sud.

Une transition unique

Quant à la protection que leur offrent les troupes d'Ali Mohsen - qui restent payées par le pouvoir - elle est jugée pesante. «Ils nous empêchent parfois de sortir manifester devant le palais présidentiel», déplore Arslan, qui a perdu plusieurs amis pendant les mois de violences. Et une fois encore, les jeunes se souviennent qu'Ali Mohsen a longtemps été allié avec Saleh et qu'il est loin d'être le moins corrompu des seigneurs de guerres locaux.
Le Yémen n'est ni la Tunisie ni l'Égypte. En assurant une sortie du pouvoir honorable pour Saleh, la transition en cours est unique à ce jour dans la chaîne des révolutions arabes. «Il ne s'agissait pas d'une révolution, corrige Mohy al-Dhabi, vice-ministre des Affaires étrangères, mais plus d'une recomposition des équilibres, avec certes un peu de violence car chaque camp est armé, mais pas assez pour que l'un écrase l'autre. Et puis au Yémen, les partis politiques existaient déjà, cela facilite la transition. Nous avons l'habitude des compromis.» Voire même des retournements de vestes qui pourraient plonger de nouveau le pays dans le chaos.

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