samedi 28 juillet 2012

« Les Sénégalais ont davantage chassé Wade qu’élu Macky » (Babacar Justin Ndiaye)


justin
Comment analysez-vous les résultats issus des élections législatives du 1er juillet 2012 ?
Les résultats sont d’abord les effets d’un contraste frappant et gênant entre la ferveur de la présidentielle et la langueur des législatives. Ils reflètent secondement un certain nombre d’hérésies qui, jusque-là, avaient les couleurs d’une somme de certitudes politiques et électorales. Enfin, du point de vue de leur portée sur l’échiquier comme dans la marche du pays, ces résultats installent les acteurs à la croisée des chemins : ou c’est l’aggiornamento porteur d’un âge d’or démocratique ; ou alors c’est l’affaissement fertile en sauts dans l’inconnu.
Comment expliquez-vous le fort taux d’abstentions ?
Taillons d’abord en pièces l’argument selon lequel, l’abstention est quasi-structurelle, c’est-à-dire caractéristique de tout scrutin législatif, sous tous les cieux. Discutable à défaut d’être faux. Aux législatives d’avril 2001, organisées dans la foulée de la victoire de Wade, le taux de participation avait frôlé la barre des 70 %. Exactement : 67, 04 %, bien qu’elles fussent consécutives au référendum de janvier de la même année sur la Constitution, et aux deux tours de la présidentielle de 2000. Soit quatre scrutins au pas de charge, sans aucune lassitude du corps électoral. En 2007, Macky Sall directeur de campagne du Pds avait réussi le tour de force de mobiliser plus de 34 % des électeurs ; nonobstant le boycott de l’opposition d’alors. Aujourd’hui, le même Macky Sall, fort de sa victoire vieille de 100 jours, peine à mobiliser la moitié des électeurs qui l’ont plébiscité, le 25 mars dernier. On est enclin à penser que les Sénégalais ont davantage chassé Wade qu’élu Macky. A mon avis, il y a toute une panoplie d’éléments explicatifs. En vrac, on peut pointer le dégoût engendré par la législature antérieure très négativement emblématique du phénomène Doudou Wade. Si à l’Assemblée nationale, un député parmi les députés, a pu radier deux de ses collègues élus au suffrage universel, sans provoquer une levée de boucliers trans-partisane, c’est qu’il y a quelque chose de pourri au cœur du pouvoir législatif. Ce qui n’a pas échappé à la vigilance ou à la sagesse du peuple qui n’est pas loin de penser que l’Assemblée nationale est une caserne où l’on est aussi raide dans le garde-à-vous qu’au camp Dial Diop géographiquement voisin. A cet élément d’explication d’origine ancienne, s’ajoutent les présentes erreurs nées des audits fort justifiés mais opérés suivant des modalités politiquement risquées et électoralement suicidaires. Dans un contexte pré-législatif, ne fallait-il pas, de manière graduelle, commencer par cravater les directeurs – en épargnant momentanément les ministres et les figures politiques notoires – jusqu’à la fin du mois de juin ? Pareille démarche garantirait davantage le caractère politiquement incolore des audits et, par ricochet, sécréterait moins de frustrations dans les familles, clans et alliés des audités. Je passe sur les investitures contestables à maints égards, pour m’appesantir sur la maladresse improductive qui a présidé à la confiscation des voitures des très bien nommés…chefs de villages. Donc pas étonnants que les villageois aient pris le chemin des champs, le jour du vote. Last but not least, les Partis ont largué honteusement leurs vocations originelles et permanentes, pour devenir des wagons chargés de quotas. Un Parti doit s’assumer électoralement, et non se lover dans une coalition dès l’obtention du récépissé. Sans un baptême de feu électoral. Bref, la grande armée des sincères abstentionnistes a vaincu la phalange des malins calculateurs. Mais, par-delà l’explication, affleure le danger. Me Mbaye Jacques Diop a constaté avec perspicacité, le danger qui consiste à s’éloigner des urnes. A juste titre. Car, lorsqu’un peuple s’éloigne des urnes, il s’approche des armes. Géométriquement et politiquement.
Quelle lecture faites-vous de la percée des religieux ou enturbannés ?
La contre-performance des politiques, passée en revue ci-dessus, a fait le lit de la performance des citoyens et leaders d’opinion qui ont des références religieusement marquées. Sans être des émules ou des épigones de Ben Laden. Mansour Sy Jamil est flanqué de la fervente catholique Hélène Tine. On est à mille lieues de ce qui se passe en Afghanistan et au Nord-Mali. On est au Sénégal, rassurez-vous.
La future Assemblée, sera-t-elle une Assemblée de rupture ?
Un discours sur la rupture n’est pas la rupture. Ce sont les actes qui rompent. En revanche, les paroles trompent. Tout sera tributaire du rapport de forces qui ne sera pas statique avec de tels résultats et de telles coalitions. Et, surtout, de tels desseins dévorants et impatients chez les uns et les autres. En politique, les coalitions ne sont pas des cimetières d’ambitions ; ce sont plutôt des carrefours d’ambitions. Je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure. « Laissons l’avenir venir » chantait Tino Rossi. Macky Sall, aura-t-il les coudées franches pour gouverner tranquillement avec sa majorité « apériste » forte de 61 députés ?
Je ne sais pas si les résultats officiels et définitifs confirmeront ou infirmeront le nombre de députés que vous avancez. Je sais par contre qu’on ne gouverne jamais – avec ou sans majorité – dans la tranquillité. La démocratie n’est pas silencieuse. Elle est bruyante et mouvementée. Ce sont la dictature et la tyrannie qui sont muettes. Seuls les ventres repus garantissent un minimum de quiétude aux Rois, or la situation économique ou plus spécifiquement la demande sociale reste notre talon d’Achille. Propos recueillis par Harouna Fall

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