samedi 31 mars 2012

Birmanie : le fol espoir du peuple birman



Les Birmans s'apprêtent à voter librement pour la première fois depuis plus de 20 ans. 45 sièges sont à pourvoir au Parlement. L'un d'eux devrait, selon toute vraisemblance, échoir au prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, la femme qui a payé de 15 ans d'enfermement sa résistance à la junte militaire. Mais l'enjeu de ce scrutin ne se mesure pas au nombre de sièges, il s'agit surtout d'un test de sincérité pour le nouveau gouvernement birman. Après avoir engagé un train de réformes spectaculaires, il lui faut encore confirmer que la démocratisation est irréversible.

Aung San Suu Kyi

C'est une bourgade certie de rizières comme il y en a tant en Birmanie. La plupart des maisons sont faites de bambous, il n'y a ni tout-à-l'égoût, ni eau courante, ni réseau pour les téléphones portables. De toute façon de téléphones portables il n'y en a pas, de voitures guère plus. Les portions de routes carrossables sont rares, les carrioles à boeufs sont encore légion.

Cette bourgade s'appelle Wah Thi Ka dans la circonscrition rurale de Kawhmu, à deux heures de route au sud de l'ancienne capitale Rangoun. Le temps semblait s'y étirer en une éternité, et puis soudain il s'est follement accéléré. Wah Tih Ka a été propulsé au coeur d'une révolution qui ne dit pas son nom, car c'est là qu'Aung San Suu Kyi, l'icône de l'opposition birmane, se présentera demain pour la première fois de sa vie devant les électeurs.

L'élection n'est ni libre, ni démocratique, mais nécessaire

Elle qui a passé la plupart des vingt dernières années confinée dans sa maison décatie de Rangoun devrait selon toute probabilité être élue députée. Tout juste réintégré dans le jeu politique légal après des années d'ostracisme, son parti, la Ligue nationale pour la Démocratie (LND) brigue 44 des 45 sièges qui sont en jeu sur un total de 659. Autant dire que l'ancienne garde, héritière de la junte militaire continuera de dominer le parlement, d'autant que la constitution de 2008 lui a prévu un douillet filet de sécurité : un quart des parlementaires sont des militaires d'active désignés en marge du processus électoral.

Pas très démocratique ! Pas plus d'ailleurs que ne l'a été la campagne électorale. Intimidations, vandalisme, liste électorales comportant des morts : Aung San Suu Kyi elle-même a dénoncé de nombreuses irrégularités. "Je ne pense pas que nous puissions considérer que c'est une élection libre et juste si l'on tient compte de ce que l'on a observé les derniers mois." Ni libre, ni juste, et pourtant nécessaire estime la Prix Nobel de la paix.

"Test fondamental pour le parti au pouvoir"

Car l'enjeu est au delà. Au delà de ces 45 sièges au Parlement. "Ce scrutin sera un moment déterminant parce qu'il s'agit d'un test fondamental pour le parti au pouvoir qui s'enorgueillit d'avoir lancé des réformes sans précédents. C'est l'occasion de tester jusqu'où ils sont prêts à aller, jusqu'à quel point ils sont prêts à ouvrir le pays" confiait Toe Zaw Latt, le directeur du bureau thaïlandais de Democratic Voice of Burma, dans une interview à ARTE Journal. Cet exilé a pu retourner en Birmanie pour la première fois depuis 23 ans à la faveur d'un visa presse de 5 jours. En gage de sa bonne volonté, le nouveau gouvernement a autorisé près de 200 journalistes à pénétrer dans ce pays, un des plus fermés de la planète.

Dans les rues de Rangoun, Toe Zaw Latt découvre des scènes qui hier encore relevaient pour lui de la science fiction. " Imaginez dans le rue, voir des milliers de drapeaux avec le paon couleur or symbole de la lutte contre le régime depuis 1988. Arborer ce symbole est illégal, jusqu'à présent c'était le ticket pour la prison, et aujourd'hui ils sont partout, accrochés dans les taxis, en vente dans les guérites de souvenirs. Pour moi c'était incroyable de voir ça !"

Le processus est-il irréversible ?

Les Birmans eux-même se surprennent à goûter à des libertés auxquelles il y a huit mois encore ils n'osaient même pas rêver. C'était en août dernier, le nouveau président Thein Sein – un ancien général – reçoit Aung San Suu Kyi et lance dans la foulée un train de réformes spectaculaires : libérations massives de prisonniers politiques, droit de grève, droit de manifester, allègement de la censure, légalisation de la LND, etc...

Ce processus est-il irréversible ? Les pays occidentaux veulent en être certains avant de lever les sanctions conçues à l'époque pour isoler la junte. Le retour d'Aung San Suu Kyi sur la scène politique a fait beaucoup pour les convaincre que la Birmanie était sur la bonne voie. Ces élections feront-elles le reste ? Même si le parti d'Aung San Suu Kyi rafflait tous les sièges demain, elle n'aura pas assez de marge de manoeuvre au Parlement pour s'attaquer aux clauses liberticides gravées dans le marbre de la constitution de 2008.

Rien ne sera plus jamais pareil

Pour autant, une fois la "Dame" au Parlement, rien ne sera plus jamais pareil. Elle même en est persuadée : "notre opinion est qu'une fois au Parlement, nous pourrons travailler pour une véritable démocratisation." D'autant qu'une victoire majeure a déjà été remportée avant même le scrutin. Cette victoire se lit dans les foules gonflées d'espoir qui se pressent à chacun des déplacements d'Aung San Suu Kyi. Cette victoire, dit-elle, "C'est la nouvelle conscience politique de notre peuple que nous considérons comme notre plus grand triomphe."

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